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Louis
Fréchette
JOS VIOLON ET LES LUTINS
«Cric, crac, les enfants ! Parli, parlo, parlons !
Pour en savoir le court et le long, passez l' crachoir à
Jos Violon. Sacatabi, sac-à-tabac ! À la porte
les ceuses qu'écouteront pas ! (...)
Les lutins, les enfants ? Vous demandez si je connais c'
que c'est que les lutins ? Faudrait pas avoir roulé
comme moi durant trente belles années dans les bois,
sur les cages et dans les chanquiers pour pas connaître,
de fil en aiguille, tout c' que y a à savoir sus le
compte de ces espèces d'individus-là. Oui, Jos
Violon connaît ça, un peu !
Il va sans dire que c'était précisément
Jos Violon lui-même, notre conteur habituel, qui avait
la parole, et qui se préparait à nous régaler
d'une de ses histoires de chantiers dont il avait été
le témoin, quand il n'y avait pas joué un rôle
décisif.
- Qu'est-ce que c'est d'abord, que les lutins ? demanda quelqu'un
de la compagnie. C'est-y du monde ? C'est-y des démons
?
- (...) C'est pas comme qui dirait absolument malfaisant,
mais quand on les agace, ou qu'on les interbolise trop, faut
s'en défier. Y vous jouent des tours qui sont pas drôles...
(...)
D'abord, les lutins, tous les ceuses qu'en ont vu, moi le
premier, vous diront que si c'est pas des démons, c'est
encore bien moins des Enfants-Jésus. Imaginez des petits
bouts d'hommes de dix-huit pouces de haut, avec rien qu'un
oeil dans le milieu du front, le nez comme une noisette, une
bouche de ouaouaron fendue jusqu'aux oreilles, des bras pi
des pieds de crapauds, avec des bedaines comme des tomates
et des grands chapeaux pointus qui les font r'ssembler à
des champignons de printemps.
Cet oeil qu'ils ont comme ça dans le milieu de la
physionomie flambe comme un vrai tison ; et c'est ce qui les
éclaire, parce que c'te nation-là, ça
dort le jour, et la nuite ça mène le ravaud,
sus vot' respèque. Ça vit dans la terre, derrière
les souches, entre les roches, surtout sour les pavés
d'écurie, parce que, s'ils ont un penchant pour quêqu'
chose, c'est pour les chevaux. (...) Quand ils prennent un
cheval en amiquié, sa mangeoire est toujours pleine,
pi faut y voir luire le poil ! Un vrai miroir, les enfants,
jusque sour le ventre. Avec ça, la crinière
et la queue fionnées comme n'importe queu toupet de
créature ; faut avoir vu ça comme moi. Écoutez
ben c' que je m'en vas vous raconter, si on veut tant seulement
me donner le temps d'allumer.
Et, après avoir soigneusement allumé sa pipe
à la chandelle, le vieux narrateur entama son récit
dans sa formule accoutumée.»
(extrait de «Les lutins», Contes de
Jos Violon, 1905)
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